Ardenne, un nom chargé d’histoire
Le pigeonnier d'Ardenne* est un des plus importants et des plus beaux de la Charente. Erigé à flanc de coteau près du village de Moulidars, il domine la vallée du fleuve et forme une espèce de belvédère d’où le regard plonge à perte de vue sur la plaine environnante.
A l'origine, il dépendait du château d'Ardenne dont le domaine a compté plus de 200 hectares (cf extrait du plan d'A. Gontier datant de 1902 avec emplacement de la fuie, ancien nom donné au pigeonnier).
La partie la plus ancienne de ce château, sa tour ouest, fut construite par Richard de Maubrun au XIIe siècle. Le reste de l'édifice daté du XVIe siècle fut remanié au XVIIIe siècle (terrasse et élévation du second étage).
Les familles du Nourrigier (XVIe siècle), Le Musnier (XVIIe siècle), Méhée (XVIIIe siècle) et Hine (célèbre négociant en eaux-de-vie de Jarnac) en furent les principaux propriétaires.
La fuie ronde du pigeonnier date de 1717. Elle fut sans doute construite par le mousquetaire du roi, Pierre Méhée d'Ardenne, surnommé « l’épée du roi », eu égard à ses talents d’escrimeur. Ses armes peintes figurent (en mauvais état de conservation) sur la litre funéraire de l'église de Moulidars.
Le pigeonnier est recouvert d’une poivrière (toiture en tuiles plates surmontée d’un épi de faîtage) percée de 3 lucarnes orientées au sud, à l’est, et au nord.
Un bandeau mouluré d’un congé ceinture le pigeonnier aux trois-quarts de sa hauteur afin d’empêcher les prédateurs (fouines, rats...) de parvenir jusqu’aux nids des ramiers (notons qu’à l’intérieur de l’édifice, un bandeau en saillie situé au dessus de la fosse à colombine remplissait la même fonction).
Au niveau de cette corniche et l’interrompant, une ouverture plus récente réalisée dans les années 1900 témoigne de sa réutilisation en grange à foin (accès du haut d’une charrette).
L'intérieur présente quelque 850 boulins (nids de pigeons) encadrés toutes les deux rangées par des bandeaux, une rangée de boulins en terre cuite alternant avec une rangée de boulins appareillés en pierre (cette combinaison de 2 types de boulins est peu courante).
L’agencement de la charpente est remarquable et les vestiges de la potence sur laquelle s’appuyait l’échelle tournante utile à la gestion de l’élevage sont encore en place.
(*) Ardenne vient sans doute du nom de la déesse gauloise de la chasse "Arduina".
Le pigeonnier d’Ardenne au fil du temps
- 1717 : construction du pigeonnier, Pierre Méhée d’Ardenne.
- Succession de différents châtelains.
- 1982 : le pigeonnier et ses terres environnantes sont « détachés » du château et vendus à M. Mouttet, viticulteur local. Sa fille Laure en est aujourd’hui la propriétaire.
- 1999 : le pigeonnier durement touché par la tempête, menace de tomber en ruine.
- 2003 : création de l’association « Le pigeonnier d’Ardenne ».
- 2006-2007 : travaux de restauration (charpente, toiture) entrepris avec les soutiens financiers déterminants de la Fondation du Patrimoine (souscription spécifique lancée pour la sauvegarde du pigeonnier), de la fondation Maxime Goury-Laffont, du Conseil Régional du Poitou-Charentes et du SDAP (Service Départemental de l’Architecture et du Patrimoine de la Charente).
- 2008 : premières plantations d’arbres (variétés fruitières anciennes) destinées à réhabiliter le site naturel environnant (jardin conservatoire) avec le soutien du Conseil Régional du Poitou-Charentes, du Conseil Général de la Charente et de l’association Prom’Haies.
« J’attendais vos ordres, Sire »
Pierre Méhée d’Ardenne (1677-1760), qui est à l’origine de la construction du pigeonnier, entre à 20 ans au service de Louis XIV, d’abord dans les mousquetaires gris de la garde du roi, puis dans la Compagnie des gendarmes de Sa Majesté.
Laurent Maurin, dans son livre Moulidars, mille ans d'histoire (1985) raconte ce fait d’armes qui le rendit célèbre :
D’Ardenne, surnommé, comme on l’a déjà noté, « l’épée du roi », devait se battre, on ne sait pour quelle raison, contre un seigneur espagnol représentant « l’épée de la reine de Hongrie ».
Chacun se prépare à ce combat d’importance et les Montliardais* purent ainsi voir notre chevalier, chaussé de bottes plombées – afin d’acquérir plus de puissance -, s’entraîner durant plusieurs semaines dans son grand pré de la fontaine Saint-Hippolyte*.
Le jour venu, les champions croisent le fer devant le roi, la reine et une partie de la cour.
Les deux bretteurs étant aussi adroits l’un que l’autre, le duel s’équilibre, traîne en longueur… et finit par lasser les spectateurs. Le roi, impatient, interpelle alors son champion :
- Ah, ça ! d’Ardenne, mais je te croyais un homme !
- J’attendais vos ordres, Sire, répond le mousquetaire, qui joignant le geste à la parole, d’un coup d’épée fulgurant, foudroie net son adversaire...
(*) Montliardais : habitants de Moulidars.
(*) Fontaine Saint-Hippolyte : fontaine (et lavoir) située près de l’église Saint-Hippolyte de Moulidars.
Laurent Maurin précise que la légende au sujet de ce duel est sans doute fondée mais qu’elle a été déformée et embellie, le roi Louis XIV n’ayant pu assister à ce duel « hors la loi »...